Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 1.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
338
HISTOIRE DE FRANCE

velles, elle l’est à peine sous les Carlovingiens ; elle ne le sera complètement que par la féodalité.

L’ordre, l’unité, ont été, ce semble, obtenus par les Romains, par Charlemagne. Mais pourquoi cet ordre a-t-il été si peu durable ? c’est qu’il était tout matériel, tout extérieur, c’est qu’il cachait le désordre profond, la discorde obstinée d’éléments hétérogènes qui se trouvaient unis par force. Diversité de races, de langues et d’esprits, défaut de communications, ignorance mutuelle, antipathies instinctives : voilà ce que cachait cette magnifique et trompeuse unité de l’administration romaine, plus ou moins reproduite par Charlemagne. « Mortua quin etiam jungebat corpora vivis, tormenti genus. » C’était une torture que cet accouplement tyrannique de natures hostiles. Qu’on en juge par la promptitude et la violence avec laquelle tous ces peuples s’efforcèrent de s’arracher de l’Empire.

La matière veut la dispersion, l’esprit veut l’unité. La matière, essentiellement divisible, aspire à la désunion, à la discorde. Unité matérielle est un non-sens. En politique, c’est une tyrannie. L’esprit seul a droit d’unir ; seul, il comprend, il embrasse, et, pour tout dire, il aime.

L’Église elle-même doit devenir une. L’aristocratie épiscopale a échoué dans l’organisation du monde carlovingien. Il faut qu’elle s’humilie, cette aristocratie impuissante, qu’elle apprenne à connaître la subordination, qu’elle accepte la hiérarchie, qu’elle devienne, pour être efficace, la monarchie pontificale. Alors dans la dispersion matérielle apparaîtra l’invi-