Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/97

Cette page n’a pas encore été corrigée
55
MON JOURNAL.

J’ai dit que ces deux originaux (Poret et Poinsot) se ressemblent parce qu’ils ne se laissent pas persuader à la légère, et que leurs principes se rapprochent autant que leurs manières diffèrent ; ils ont même enthousiasme pour le beau et le bon. Si je voulais marquer ce qui distingue leur personnalité, je donnerai au philosophe (Poret) une grande force d’âme, au physicien (Poinsot) beaucoup de bonté naturelle, et surtout une grande délicatesse dans l’amitié.

En ce qui concerne notre intérieur, la vie coule dans une si grande uniformité que je ne m’aperçois pas de la succession des jours. C’est comme la rivière en plaine, qui coule à petit bruit, toujours le même, et qui vous endort. La société de Mme Hortense et de Mlle Rousseau est très agréable. Celle-ci a beaucoup gagné au moral depuis un an. Les femmes vont plus vite que nous dans ce travail d’éducation sur elles-mêmes. On parle souvent de l’ami de Bicêtre ; on semble l’aimer bien plus qu’autrefois. C’est, je t’assure, une grande douceur pour moi de voir l’accord entre ceux que j’aime. Souvent je me reproche de ne pas apprécier assez les avantages de cette existence douce et facile, mais la tendance de l’homme n’est-elle pas de toujours désirer l’impossible ?

Adieu !
J. MICHELET.