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MON JOURNAL.


Condillac. Tu as trouvé, à bon droit, dans le passage cité, bien de l’esprit et de l’originalité.

Une seule observation au sujet des rêves ambitieux qui ont occupé notre enfance : dans mon île, j’étais fondateur d’une colonie, et non pas conquérant ; et puis, mes sujets, surtout mes sujettes, étaient très blancs. Tu vois que j’étais plus délicat et plus pacifique que toi.

Mon Mémorial [1] m’occupe passablement. Ce sont encore des lettres que je t’écris ; et dans ce moment même, j’en achève une qui a vingt-quatre pages. Je reviens à la tienne ; elle a une chaleur, une rapidité, qui me touchent ; elle s’échappe du cœur et sait se faire entendre au mien. Que le ciel soit béni de t’avoir détourné d’aller chercher une maîtresse dans ces réunions où se trouvent beaucoup de femmes agréables, mais si peu faites pour nous ! Si rarement que je sois allé dans ces lieux de plaisirs [2], j’en ai été amoindri. Tantôt c’était au détriment des personnes qu’avant je trouvais aimables ; tantôt j’apprenais que celles qui m’avaient frappé l’imagination, étaient tout autre chose que ce que j’avais cru voir. De tout cela, j’étais cruellement troublé.

Mon ami, toute l’illusion de l’amour consiste

  1. C’est le journal de l'enfance ; je m’en suis servie pour Ma jeunesse.
  2. Voir, dans Ma jeunesse, le chapitre : Thérèse.