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MON JOURNAL.

piège que je cherche à éviter. Il n’y a pourtant pas encore longtemps que j’en désirais une. Oui, j’étais très occupé de cette pensée, au point qu’impatienté de n’en pas trouver assez vite, j’étais près d’aller en chercher une dans les réunions publiques où l’on dit qu’elles se trouvent. Enfin, une lueur de raison est venue m’éclairer et me voilà. Je me suis remis à Condillac. Il y a, à la fin, une lettre, bien plaisante. L’auteur en paraît être l’abbé de l’Épée, car il était directeur des Sourds-Muets en 1751. Il dit, entre autres choses, que peut-être l’huître dans sa coquille raisonne sur la nature des équations et résout les problèmes algébriques les plus compliqués. Toi qui cherches un maître de mathématiques, le voilà tout trouvé : prends une huître dans sa coquille. La lettre n’est pas longue ; l’auteur y est presque toujours en opposition avec Condillac. Je crois qu’il a tâché, dans ses plaisanteries, d’imiter le genre de Voltaire.

Je te félicite de t’essayer à prendre pour exemple et pour modèles Virgile, Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre. Comme tu le dis très bien, on ne saurait viser trop haut. Moi j’ai regardé plus haut encore. Quand j’étais tout petit, ma première pensée en m’éveillant, et la dernière en m’endormant, étaient de conquérir et de policer, à moi tout seul, un peuple sauvage. Tu vois que nous