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MON JOURNAL.

pas touché de tes épanchements ! Si tes lettres diffèrent des miennes, c’est pour avoir sur elles l’avantage d’intéresser. Mes conditions n’étant pas les tiennes, il est naturel que nos pensées soient différentes. Je ne regrette pas comme toi un bonheur perdu, que je n’espère plus retrouver. Celui que j’ai senti, je le sens encore, puisqu’il est dans notre amitié. Puis, je te l’avoue, je me suis trouvé assez longtemps dans cet état de l’âme que tu dépeins si bien, pour souhaiter n’y pas retomber de sitôt. Bien que cet état de langueur et de rêverie ait quelque chose de doux et qu’il puisse être utile, comme, tu le dis, à l’écrivain, je la redoute en ce moment, parce qu’il ôte l’activité dont j’ai si grand besoin. N’ayant guère que quatre ans devant moi, pour apprendre ma profession, il faut que j’évite tout ce qui pourrait entraver ma marche. Ces entraves sont de diverses sortes, mais enfin ce ne sont pas moins des entraves. Je veux tâcher d’ajourner ces plaisirs, qui ont quelque chose d’énervant, au temps où mes travaux, mes études étant à peu près terminés, j’en pourrai jouir à mon aise. Oui, cher ami, mon âme n’est que trop portée aux effusions, mais ce sont les premiers pas vers la rêverie. Je m’efforce de m’en abstenir.

C’est bien pour cela que je redoute une maîtresse, car je tomberais infailliblement dans le