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MON JOURNAL.

attendris sur la nature et ses élans vers le ciel.

Je me cache le visage en relisant ce que je viens d’écrire : un esprit si lent à concevoir, si maladroit à exprimer, se consoler par l’exemple de Rousseau, de Virgile !… N’importe, mon ami, tout pénétré que je suis de ma faiblesse, je veux tendre au plus haut. Ce sera peut-être un moyen de m’élever un peu au-dessus de terre. La gloire ?… Ah ! ce n’est pas elle seule qui me tente. J’entends, à la suite d’un bon livre, les bénédictions des foules ; ces rêves me plaisent. Que tu me fais de bien ! que je suis heureux d’avoir quelqu’un devant qui je ne craigne pas de paraître ridicule ! Quelque enfant que j’aie été, j’ai toujours vivement senti cette douceur-là dans l’amitié. Il faut que je connaisse toute la vivacité de la tienne pour donner un libre cours à tout : aux déclamations, aux expressions forcées qui seraient ambitieuses si tout ceci n’était écrit pour mon ami. Je laisse courir ma plume ; je ne retiens rien. Tu me connaîtras ainsi tout entier et mieux peut-être que je ne me connais moi-même.

C’est un plaisir mutuel que nous nous ferons. Ainsi nous épanchant l’un devant l’autre, nous nous habituerons à réfléchir sur nous-mêmes, et en ne travaillant qu’à nous peindre nous nous améliorerons peut-être.

Montaigne dit : « J’ai fait d’abord les Essais sur