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MON JOURNAL.


ries un bruit immense, comme le cri de vingt mille poitrines. Ce n’est point d’une bataille ni d’une fuite ; c’est un cri continu qui n’est terrible que par sa grandeur. Celte grande voix réalise le peuple dans mon imagination ; il se lève comme un seul homme, indigné de la perte de sa liberté.... Je rentre de ma classe, mon père m’apprend tout. Ils ont parcouru le faubourg ; ce sont des hommes âgés, peut-être des demi-soldes [1] ; ils excitent le peuple ; ils retournent par la rue Saint-Antoine ; les gendarmes, les cuirassiers courent, dit-on, derrière eux. Cette soirée sera sanglante.

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.... Six heures. — La pluie tombe à torrents ; si j’examine l’histoire des révolutions, je crois qu’elle nous vaudra la tranquillité cette nuit. Je sens vivement la nécessité de savoir manier un fusil [2].

J.M.
  1. Ceux-ci, pour la plupart, étaient irrités contre le gouvernement qui les laissait sans emploi ou même les persécutait. Mme J. M.
  2. Ce n’était point seulement le rejet de l’amendement qui avait fait éclater la Révolution ; tout croulait à la fois. Plus de sécurité. On pouvait être arrêté et détenu en vertu d’un ordre émané de trois ministres. — La liberté de la presse n’existait plus. Aucun journal, aucun écrit périodique ne pouvait être publié sans l’autorisation du roi (Vaulabelle). On se sentait livré à la rancune des hommes qui rêvaient de ramener la France au bon temps de 1815-1816. Dans le Midi, où les passions sont si fiévreuses, on se battait déjà. A Paris, l’émotion était grande dans la bourgeoisie et la jeunesse des écoles. Elles suivaient avec