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MON JOURNAL.

parcours, c’est qu’une âme de la trempe de la tienne, doit singulièrement s’améliorer en la parcourant. Elle éloigne des hommes ou du moins n’en rapproche que pour les voir physiquement. Dès lors, n’étant pas froissé par leur contact, on peut les croire tous bons. Ces études solitaires ne nourrissent pas seulement la philanthropie par la bonne opinion qu’on prend de l’humanité, elles agrandissent aussi toutes les pensées. C’est dans la solitude que les Pythagoriciens entendaient les concerts des astres ; en effet, on ne reste guère seul ; les causes finales, si manifestes dans la nature physique, nous rendent bientôt Dieu présent.

Ce serait une chute de quitter ces sciences de la nature ou plutôt de Dieu, pour les sciences de l’homme, de la politique, de l’histoire. Plus je pèse ces considérations, plus je vois avec terreur la carrière qui semble s’ouvrir pour moi, celle de l’écrivain politique. Ce sur quoi il doit agir, ce n’est pas l’homme, ce sont les hommes, c’est-à-dire, une société aujourd’hui si corrompue, que le naturel ou plutôt la nature n’apparaît presque plus. C’est un je ne sais quoi factice, une immense complication d’intérêts divers, créés les uns par les autres, qui enveloppe les sociétés modernes et les force d’embrouiller les idées simples, de la justice dans une foule de lois, nécessaires