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MON JOURNAL.


pas un ne me ressemble, pas même ceux que l'âge rapproche de moi, — mes frères et sœurs. Si je me marie, la femme que j’aurai, ne partagera pas mon amitié, car est-il possible d’en rencontrer une qui pense comme nous ? Je me marierai plutôt par nécessité que par goût. Je suis aussi jaloux que tu aies mon affection à toi seul, que je le suis d’avoir la tienne à moi seul.

Non, ce n’est pas en considérant la brièveté de la vie que je sens l’utilité du journal ; mais c’est en me portant, par la pensée, au temps de notre vieillesse, où nous nous lirons réciproquement au coin du feu ; ce sera un divertissement bien doux. Voilà, je l’espère, à quoi servira ton journal et non à te faire revivre près de moi. Triste consolation que celle qui, en me retraçant les qualités de mon ami, me ferait sentir plus douloureusement sa perte !

Je t’ai bien reconnu dans l’histoire de ton jeune avocat. J’aurais absolument pensé de môme. Mon état, plus agréable que celui d’un plaideur, exigera pourtant que je sacrifie une partie de ma vie au monde ; mais ce sera témoins possible. Adieu.

P. POINSOT.