Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/59

Cette page n’a pas encore été corrigée
17
MON JOURNAL.


ne me connais guère, malgré le tête-à-tête quotidien avec moi-même. Cela tiendrait-il à la mobilité qui, toujours, met l'âme au dehors et l’empêche de se recueillir ? Il faut pourtant essayer de se démêler ; sans cela aucun progrès n’est possible. Profitons d’un moment de repos. « Mon cher, moi, je veux être équitable envers vous. Eh bien, il est vrai que vous aimez ce qui est bon et juste et que vous prenez plaisir à le pratiquer ; mais pourquoi avez-vous tant de peine à garder pour vous ce plaisir ? Pourquoi vous faut-il en parler ? Je ne suis pas sûr qu’il n’y ait là un peu d’ostentation. Si même ce n’était qu’un épanchement du cœur, ne vaudrait-il pas mieux contenir cette effusion et garder entre Dieu et vous vos bonnes actions ? La jouissance, pour une nature élevée, en diminue,quand elle n’est pas tenue secrète.

En général, vous taisez difficilement ce qui vous émeut. C’est peut-être là votre plus grand défaut. Tenir un journal y remédierait peut-être ; vous épancheriez ce trop-plein du cœur et de l’âme qui vous fatigue dès que vous ne pouvez le confier. — Ce journal, votre ami, votre confident discret, serait aussi, au besoin, votre guide. Il vous conseillerait, par exemple, de vous déshabituer de porter vos regards sur ce que vous ne pourrez jamais posséder ou sur ce qui passe et que vous ne devez jamais revoir. Une cruelle expérience