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MON JOURNAL.

qui m’occupe. Je rends à ceux qui m’entourent l’attachement qu’ils ont pour moi, mais tous diffèrent de caractère et d’âge. Poret est le plus honnête homme, l’âme la plus forte que je connaisse ; mais cette dernière qualité n’est pas entre lui et moi un trait de ressemblance.

Nous seuls, nous nous ressemblons.

Cette amitié si agréablement liée aux souvenirs de notre enfance, tire une nouvelle force de la situation morale où je me trouve. La personne qui me ressemble le plus après toi[1], est âgée et, selon le cours de la nature, doit vivre beaucoup moins que moi. Ne pouvant songer à me marier, je ne goûterais point, dans une relation, les plaisirs de la famille ; de ce côté, encore, je serais seul. C’est donc sur toi que se porte mon avenir.

Lorsque, pour être sage, je crois devoir enterrer mon cœur tout vivant, la puissance d’aimer devient philanthropie et surtout amitié.

C’est dans mes lettres encore plus que dans nos conversations que je veux épancher tout mon cœur. Il est mille choses qui se disent, ainsi, mieux qu’en face ; on s’exprime avec plus de netteté. Un des puissants motifs qui me détermineront à faire un journal, c’est l’espérance que si je mourais avant toi, tu achèverais de me con-

  1. Mme Hortense. Voir Ma Jeunesse, page 159.