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MON JOURNAL.

les mêmes circonstances. Tâchons de garder au moins une correspondance étroite entre nos pensées. A cela, les lettres pourraient servir ; elles vaudraient autant et mieux peut-être que le journal. Si nous, faisions les deux à la fois, le journal aurait pour moi l’avantage de me rappeler, plus tard, un passé qu’on oublie si facilement et de me fournir les moyens de m’améliorer.

Dimanche 7. — Nous nous sommes revus !… C’est tout ce que je puis dire. Je n’en ai pas joui pleinement. Bien moins sensible au plaisir de revoir ceux que j’aime, qu’à la peine de les quitter, la vie m’apparaît une suite ininterrompue de séparations et d’adieux.

Dans la disposition mélancolique où je suis, le Lac de Lamartine m’a fait pleurer. Je pleure plus facilement qu’autrefois sur les maux d’autrui. J’ai gagné, à perdre l’amour et à m’imposer de ne plus le retrouver.

Dégagée de l’égoïsme à deux où elle enfermait le monde, l’âme rayonne autour d’elle par ses facultés aimantes qui deviennent amour de l’humanité. L’amitié ne fait rien perdre à ces sentiments élevés. Avec un ami, on arrive bientôt à se répandre, et délicieusement, sur les questions générales, ce qu’on ne fait guère avec une femme qu’on aime. L’horizon se rétrécit bien vite à la