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THÈSE DE DOCTORAT.

s'il nous ressemblait au moins par des faiblesses, son livre me plairait encore plus ; ce ne serait plus un livre, ce serait un ami. On reconnaît Plutarque et les Vies des Hommes illustres ; je vais achever le portrait.

Dans un cours pratique de morale [1], on doit s’attendre à trouver peu de considérations politiques ; aussi, quoique ces hommes illustres n’aient pas une vertu, pas un vice, qui n’ait influé sur le sort du monde, et que l’étude des caractères conduise naturellement à réfléchir sur les révolutions qu’ils ont amenées ou décidées, Plutarque, toujours occupé à peindre des individus, parle rarement des peuples, et seulement en passant ; par la même raison, les plus grands événements ne l’arrêtent pas toujours ; il nous fait grâce de ces guerres si longuement racontées dans la plupart des historiens. Les actions, les paroles où l’homme se fait connaître, et qui peuvent fixer sa physionomie, voilà ce qu’il choisit dans la vie politique, ce qu’il cherche dans le secret de la vie privée. La vie privée surtout est son étude ; c’est là qu’il aime

  1. Pour donner ce nom aux Vies des hommes illustres, il faut en retirer cinq où Plutarque n’est qu’historien ; moins intéressantes parle sujet, elles attachent aussi bien moins par le style ; une d’elles, celle d’Artaxerxe, me semble même indigne de lui ; ce ne sont guère que des récits de crimes et des descriptions de supplices ; on ne s’y intéresse pour personne. Les Vies de Thésée et de Romulus, curieuses peut-être pour les Grecs et les Romains qui y retrouvaient les traditions de leur histoire, me semblent des ouvrages de pure érudition. Celles de Galba et d’Othon sont, à l’exception d'un morceau admirable, faiblement imitées de Tacite (je dis imitées, car je suis porté à croire que le plus faible est l’imitateur). En général, dans ces vies, je ne retrouve plus le philosophe ; ce n’est pas un caractère qu’il peint ; on ne voit pas d’intention morale.