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THÈSE DE DOCTORAT.

énergique, à raconter la vie simple et modeste d'Agricola ? J’aimerais encore mieux le froid narrateur qui a raconté du même ton la vie de Néron et celle de Titus ; il dit tous les faits sans choisir, et jamais il ne les examine : au moins celui-là ne m’asservira pas à ses idées. Mais il est sec, il est nu, il n’a amassé que des matériaux ; il nous traîne impitoyablement sur des infamies sans utilité pour l’étude des mœurs.

Ce n’est pas encore là le véritable biographe ; pour nous aider à le trouver, ne serait-il pas utile de fixer les principaux caractères qu’il doit réunir ? Il sera aussi impartial que Suétone, aussi calme ; mais partout on sentira dans ses écrits l’âme d’un homme de bien. Il sera moins profond, moins enveloppé que Tacite, parce qu’il doit parler pour tout le monde ; il fera connaître les hommes par leurs actions plutôt que par d’ingénieuses conjectures ; il ne voudra pas tout expliquer. Les méchants l’occuperont peu ; la mémoire qu’ils ont laissée est stérile comme leur vie. C’est à la vertu que son livre sera consacré ; il nous parlera d’elle sans cesse, et toujours d’un ton touchant, comme on parle de ce qu’on aime. Religieux adorateur des dieux immortels, il les rappellera à chaque instant dans ses récits, de crainte de nous décourager en peignant si souvent le juste malheureux. J’aimerais encore qu’il naquît dans un siècle où il n’y eût plus de patrie ; il porterait plus d’impartialité dans ses jugements. J’aimerais qu’il fût indulgent, qu’il ne m’apprît pas à haïr les hommes, qu’il m’inspirât de la compassion pour le malheur. Que si, malgré son enthousiasme pour la vertu, ce sage n’était pas d’une hauteur de principes effrayante, si cet homme de génie avait de la simplicité, de la bonhomie, de la crédulité même,