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JOURNAL

passé, a été terminé le 3 mars et mis en vente le 7 avril.

Mai. — Rien n’est plus fécond que la méditation constante d’une même pensée. Celle que j’ai ruminée l’an dernier en a fait surgir une autre qui m’a séduit : Études philosophiques des poètes. Surtout Virgile, Homère, et les tragiques grecs. En 1820, où j’ai vécu tout entier dans la Grèce, mes lectures m’avaient déjà ouvert un monde. Ainsi, la mort de Socrate m’apprenait que le ressort de la tragédie n’est pas la pitié, la terreur, comme le veut Aristote ; mais la lutte du fini contre l’infini, le fini se sentant des droits que l’infini méconnaît en l’écrasant… L’intérêt de la mort du philosophe athénien vient, non de ce qu’il est innocent, mais de ce que cette mort offre la lutte de deux puissances morales, le subjectif (l’individu) et l’objectif (l’État). Le subjectif n’étant pas encore venu à la connaissance de soi, n’était alors qu’un principe de dissolution que l’objectif (l’État) devait frapper.

Et, dans un autre ordre d’idées, en lisant le Prométhée d’Eschyle, je trouvais là le Satan de Milton ou plutôt, l’histoire de l’homme puni pour avoir mangé le fruit de la science du bien et du mal. Prométhée est à la fois l’homme et le dieu, l’ancien et le nouvel Adam. La Grèce, comme