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XVIII
PRÉFACE.

On a envie de crier à ces narrateurs trop discrets : « De grâce, messieurs, tournez-vous donc un peu, qu’on vous voie au moins de profil. »

Cette impersonnalité, je ne la voudrais pas, non plus, dans le livre où l’auteur n’entend nous entretenir que des choses de l’esprit. Si l’homme se dérobe entièrement derrière l’écrivain, s’il me laissé tout ignorer de sa vie intime, eh bien, j’oublie aussi, à mon tour, que c’est une personne qui me parle ; je n’ai plus devant les yeux qu’une machine à Pensées. On se console de cet escamotage, quand celui qui se le permet n’a par lui-même qu’une mince valeur. Mais si, au contraire, celui qui raconte vaut infiniment, c’est lui tout entier qu’on voudrai connaître, et non ses voisins de médiocre importance.

Un livre plein de pensées, quand on a le bonheur de savoir comment elles sont venues à celui qui les écrit ; quand on assiste, pour ainsi dire, à tous les mouvements intérieurs de son âme : quand il nous dit ou nous laisse deviner pourquoi, hier si vaillant, aujourd’hui il défaille, pourquoi il est gai,