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MON JOURNAL.

Je le vois, sur ce chemin même du village d’Austerlitz où nous nous suivions si longtemps du regard et où, dans les derniers temps de son séjour, je ne le quittais que les yeux pleins de larmes.

C’est ici même que, prenant quelques brins d’herbes, il me faisait remarquer la force de leurs filaments qu’il comparait aux cordes de nos nerfs. De là, nous nous élevions aux pensées religieuses qui, si souvent, revenaient dans nos entretiens. Ces lieux me semblent vraiment sacrés. Non, il est impossible que celui qui tenait de tels discours, et qui s’en est allé en pleine possession de lui-même, soit anéanti, que nous ne nous revoyions plus !...

Lundi 26. — Tout plein des émotions de la veille, j’ai voulu ce matin relire mon journal, surtout le commencement, écrit non seulement pour lui, mais, pour ainsi dire, avec lui. J’ai lu, et j’ai vu, à ma confusion, combien je vaux moins aujourd’hui. Ah ! que l'on perd à se répandre au dehors ! L’an passé, je menais une vie tout intérieure. Et maintenant, me voilà agité de mille soucis, troublé même, par les affaires, comme j’aurais cru ne pouvoir l'être jamais que par l'amour. Mais de là ne vient pas tout le mal. Si je ne suis plus le même au dedans, il faut en