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MON JOURNAL.

Dimanche 16. — Je pars par un épais brouillard pour aller voir mes juges. Je traverse le Jardin des Plantes très beau, très silencieux. Je me sentais dans le cœur, à cette heure matinale, toutes les passions tendres. « Qu’importe, me disais-je, ne regrettons rien ! » Et je trouvais presque doux que ce n’eût guère été que l'amour de la rose et du rossignol. Insensiblement, mes pensées prenaient un autre cours. En voyant les belles fleurs d’automne dont les propriétés sont si efficaces et qui restent pour la plupart sans usage, je songeais à la foule de bonnes intentions que nous portons en nous et qui, ne trouvant pas d’occasion de se produire, meurent dans le cœur où elles sont nées.

Tout en philosophant, j’arrive rue St-Hyacinthe et j’entre chez M. Leclerc. La froideur de sa réception me glace. Il me dénonce, sans ménagement, l’indignation que ma manière d’écrire Je français a soulevée chez mes juges. Je le quitte sans dire un mot et je cours chez M. Létendart, qui m’a aussi examiné. Heureusement celui-ci me relève et me fait douter de la sincérité de l’autre.

Au retour, je prends la rue de Seine et je traverse tout Paris en suivant le beau quai Voltaire et les Tuileries toujours admirables. Malgré les petites gens qui vous coudoient, il y a là, si l’on se met en face des Champs-Elysées, une grandeur