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MON JOURNAL.


dangers du célibat et me presse de songer au mariage. On dirait qu’elle a été informée de ce qui m’arrive. L’heure est mal choisie pour me prêcher de la sorte. Voici, à peu près, en quels termes je lui ai répondu :

« Si c’est toujours, chère tante, une chose grave que de fixer sa vie, combien plus, de le faire dans l’inconnu, je veux dire, sans presque rien savoir de la personne à laquelle on se lie. Je souligne le mot, car s’unir n’est pas assez fort pour rendre la valeur du mariage. Or, se connait-on réellement, lorsque trois mois, six mois avant d’épouser, on ignorait l’existence même de la personne que l’on prend ? Agir ainsi, c’est avoir bien des chances de grossir la confrérie des « mal mariés » . Vous savez mieux que moi, comment à l’ordinaire, les choses s’engagent : uniquement d^abord sur les convenances entre les deux familles, égalité de fortune, de position. Dans la société actuelle, c’est toujours là le point capital. L'essentiel qui serait avant tout de savoir si les jeunes gens sont faits l’un pour l’autre, est le point secondaire. « Au même pot, à la même cuillère », dit le proverbe. Pour le reste, on se fie au temps. Quand a lieu la première entrevue, tout est déjà à peu près réglé entre parents. Le jeune homme et la jeune fille, sachant ce qu’on leur veut, se composent pour la circonstance ; ils ne sont nullement eux-mêmes.