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MON JOURNAL.


préparation du concours m’abrutit. Lefebvre, qui est venu nous demander à dîner, m’a trouvé dans un état de demi-mort dont j’avais honte. Je l’ai reconduit jusqu’au bout du pont d’Austerlitz. Jamais la lune, faisant ondoyer sur l’eau sa lumière argentée, ne m’avait paru plus belle. Il faut, pourtant, s’arracher à la nature. Nous avons jasé philosophie, moi du moins, car il est bien difficile de le faire parler.

Notre causerie m’a conduit tout naturellement à Laromiguière, dont je suis plein [1]. Il donne à la France, par ses Essais ou plutôt par ses Leçons philosophiques y ce que l’école écossaise a donné à l’Angleterre. En même temps que lui, je revois Locke et Condillac, Aristote et Descartes. Il me semble que je serais assez prêt maintenant à professer la philosophie. Nous verrons ce que donnera le concours.


Vendredi 31. — Mon père aurait-il écrit à Renwez ? Je viens de recevoir une lettre de ma tante Hyacinthe [2], qui me met en garde contre les

  1. Laromiguière fut un des fondateurs de l’éclectisme philosophique
  2. Cette tante Hyacinthe, l’aînée de la famille (voir Ma Jeunesse, p. 282 et suivantes), les régentait tous, grands et petits. Il est curieux de lire les lettres adressées à son neveu, lettres impératives et hautaines. Quelques-unes mériteraient d’être publiées comme spécimens d’une autorité à la Mirabeau. Autorité tyrannique qui entendait être en tout obéie.

    Mme J. M.