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MON JOURNAL.


seule chose existait pour moi, celle hélas ! que j’avais à jamais perdue!...

Comme il arrive, après ces brusques défaillances qui vident le cœur, un flot de vie bouillonnant et chaud a remonté.

Alors, sans raisonner, d’instinct, j’ai couru au Jardin des Plantes, à ce lieu toujours si plein d’elle, et là, de mes deux bras ouverts, j’ai embrassé le passé. Il me semblait la retrouver tout entière, non pas au labyrinthe, trop fréquenté à cette heure, mais au fond de cette allée solitaire où, si souvent, nous nous sommes assis, dans nos promenades du soir !... Que Dieu me pardonne si, dans un élan de joie sauvage, je l’ai refaite mienne, un instant, celle qu’un autre m’a prise ! Que me faisait qu’il eût son corps, quand je gardais le meilleur, son âme ?... Ne l’avais-je pas cueillie sur ses lèvres, dans son premier baiser d’amour ?... Et n’était-elle pas encore à moi tout entière ?... Si je ne l’avais plus, si son cœur m’était devenu étranger, aurait-elle ainsi pâli mortellement à ma rencontre ? ... Non, tout n’était pas fini ; Thérèse m’aimait toujours ! A cette pensée, un rire strident, mauvais rire du rival vainqueur qui se sent resté en possession, tout à coup m’a échappé.... Je l’ai bientôt expié par la plus amère tristesse.

« Hélas ! pauvre homme, tu n’as rien du tout ! » m’a répliqué une voix que je connais bien. « Qui