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MON JOURNAL.


dais de ses nouvelles, la pauvre enfant m’a répondu de cette voix traînante et douce qu’avait son frère aux derniers temps de sa vie : « Oh ! merci, je ne souffre plus ». Oui, mais c'est une autre Virginie. Ses grands yeux profonds, démesurément agrandis par l’amaigrissement du visage, semblent regarder au delà, vers un monde dont ils ont déjà la vision. Serait-ce celui où est allé son frère, et serait-elle en train de le rejoindre [1]?

Comme elle lui ressemble dans son dépérissement et sa pâleur sépulcrale ! J’ai eu bien de la peine à cacher mon émotion» Il le fallait pour ne point l’attendrir sur elle-même. Je dois aussi me surveiller pour que son entourage, sa sotte mère surtout, n’aille pas prendre ma pitié pour de l’amour.

Lundi soir 11. — Je sens de plus en plus que l’âme pour avoir toute son action, doit s’harmoniser. Il faut donc s’interdire bien des choses douces et innocentes qui sont comme le sourire de la vie, mais qui rompent l’unité de la pensée et relâchent la discipline à laquelle on a eu tant de peine à s’assujettir.

Je viens, à ma grande satisfaction, d’achever mes extraits du livre de Gérando. J’avais trop

  1. Virginie mourut, en effet, comme son frère, de consomption.