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MON JOURNAL.


veillé mon désir d’une adoption. Former une âme !... Je ne conçois pas de plus grand bonheur en ce monde. Mais cela, hélas ! ne semble pas devoir être dans ma destinée. Tous ceux que j’ai aimés jusqu’ici, Dieu me les a repris. Poinsot !... Thérèse !... Celle-ci plus que morte [1]. Même ma pauvre Sophie sur laquelle j’aurais pu avoir quelque influence.... Tous partis ! Comme si c’était déjà le soir de la vie, je ne compte les années que par les pertes et les deuils.

Acceptons, cependant, tout sans nous plaindre. S’il est vrai que les fruits de la souffrance morale soient de beaucoup supérieurs à ceux que nous recueillons de la douleur physique, souffrons par le cœur et sans que le monde en sache rien. Ne laissons voir de nos larmes que celles qui tombent sur les maux d’autrui. Ce sont peut-être, d’ailleurs, les seules qui soient fécondes.

Dimanche 10. — Malgré le bruit des allants et des venants, rien de plus triste que la maison des Poinsot [2]. La mère malade, dans ce même lit, à celte môme place !.... Virginie près d’elle, revenue de la veille convalescente, mais si défaite encore que j’en ai été effrayé. Comme je lui deman-

  1. Thérèse s’était mariée en province. Voir Ma Jeunesse, pages 314 et suivantes.
  2. Les Poinsot, venus de Vermenton, faisaient, en gros, le négoce des vins de Bourgogne.