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MON JOURNAL.

« C’est une pure vanterie de prétendre tout savoir quand on vient de naître. Mais, outre l'inexpérience dont pour ma part je ne me sens pas du tout, en ceci, mortifié, il y a, à notre âge, un obstacle qui nous empêchera toujours de voir clair dans cette question en elle-même si obscure. Cet obstacle, charmant il est vrai, c’est que nous sommes amoureux de l’amour encore plus que de la femme. Dans cette disposition qu’arrive-t-il ? C’est que la première jeune fille qui arrête notre regard, nous semble presque toujours, réaliser l’idéal que nous poursuivons dans nos rêves. Si la déception vient vite, sommes-nous en droit de mous plaindre ?... Qu’est-ce qui nous a servi ? Le hasard. Il n’est pas responsable.

Il y a autre chose encore. L’artiste qui, le premier, imagina de faire de l’amour un dieu aveugle en lui mettant un bandeau sur les yeux, cet artiste a été, à mon sens, sans le savoir peut-être, un grand philosophe.

Hélas ! quand elle nous tient tout entiers, cette puissance inconnue qui nous fait à la fois si forts et si faibles ; quand elle nous possède à ce point qu’il n’est plus un seul mouvement, une seule de nos pensées qui ne nous vienne d’elle et ne lui appartienne, que pouvons-nous, dites-moi, pour démêler la vérité ? Femme ou homme — il n’y a pas en ceci de sexe fort — nous sommes alors en plein