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MON JOURNAL.


troupes. On jugeait les conjurés [1] . Il y avait dans la masse du peuple, amené là par la curiosité, et dans l'air, je ne sais quel ferment d’orage. « A quoi bon nous inscrire ? disais-je à Poret. Dans un pays aussi inflammable que le nôtre, il suffira de la moindre étincelle pour que tout de nouveau prenne feu. Guerre ? Révolution ?... Peut-être les deux à la fois. Il faut chaque matin se poser cette question : « Qui seras-tu : scribe ou soldat ? » En revenant, nous sommes passés par le Jardin des Plantes, nous avons suivi la poétique allée où nous lisions, il y a six ans, la Nouvelle Héloïse. Que les temps sont changés !. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .



Cette nuit, j’ai encore revu Poinsot. Il était seul, assis dans une grande chambre démeublée près de laquelle logeaient des étudiants en médecine. On entendait leur conversation et leurs rires. Saisi de le trouver là, je m’écriais : « D’où vient que tu sois ici vivant, quand je t’ai enterré et pleuré ? » Il me répondait : « Rien de plus naturel. Après qu’on m’a eu mis dans la terre, on est venu tout près creuser une autre fosse. Le bruit que faisait la pioche du fossoyeur m’a éveillé, car je

  1. Sans doute la conspiration militaire du 19 août 1820, qui avorta avant d’éclater.