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MON JOURNAL.

Mais pour faire comme Clémengis, pour donner en secret une partie de sa fortune, il faudrait être riche soi-même, et je n’ai rien. Voilà comment on est arrêté à chaque pas dans l’exercice des vertus actives.

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MAI


Vendredi 4. — Baptême du duc de Bordeaux et réjouissances. Je hais les fêtes officielles, me souvenant toujours de celles de mon enfance qui nous


    le peut, elle quitte ses habits de deuil et se met k courir les bals, les spectacles. Elle y mène Ernestine. Sa grande beauté attire tous les regards ; on veut savoir qui elle est. On s’informe et l’on découvre l’origine réelle de sa fortune subite. La calomnie s’en mêle. Les hommes vont perdre avec elle le respect. Heureusement, une amie dévouée arrive à point de la province. Par elle, Ernestine apprend toute la vérité. Réveil cruel mais salutaire. Avec autant de courage que de droiture, elle quitte d’elle-même sa vie de plaisir et va s’enfermer dans un couvent. Le travail bienfaisant régularise sa vie ; quelques visites à l’amie qui l’a sauvée sont toute sa distraction. Un jour d’été qu’elle est chez elle à la campagne, Clémengis, qui n’a plus donné de ses nouvelles, soudainement apparaît. Elle n’a pas la force de le fuir, lui, de se vaincre. Il cède à la passion qu’il a trop longtemps comprimée. La résistance l’irrite, sa raison s’égare, il devient tentateur. Ernestine saisie d’effroi court à son refuge. Mais la porte du cloître n’est pas plus tôt refermée sur elle que tout son cœur lui échappe. Elle écrit, s’excuse, s’accuse. Elle a vu sa pâleur, son abattement, elle ne veut pas qu’il meure. Elle tiendra la conduite que sa réponse va lui dicter. On pense bien que Clémengis, redevenu lui-même, ne profitera pas de sa défaite. Il se décide même, ce qu’on regrette dans un pareil