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MON JOURNAL.


tendre d’un père naturellement prévenu pour les siens. Je crois pourtant m’en être tiré à mon honneur, sans manquer à ma conscience, je veux dire, sans flatterie. Au total, je suis loin d’avoir à me plaindre de ces deux enfants. L’aîné, Gabriel, est un véritable fils de la grâce. Le charme si louchant que lui prêtent ses manières caressantes, presque féminines, tournera plus tard en séduction. Là, sera pour lui le danger, on peut y laisser ses énergies. Aujourd’hui, il est bien enfant, bien paresseux, bien ami du plaisir, mais sensible aux reproches, et le plus souvent docile. Avec cela, il faut prendre patience et se dire qu’il y a tout à espérer.

Son frère Édouard, est une tout autre nature. Sous l’enfant, l’homme déjà perce et la volonté. Celui-ci aime le travail, il y réussit. Au fond, c’est un passionné. Je ne serais pas surpris qu’une fois maître de sa destinée, il n’acquît une vraie valeur. Peut-être sera-t-il ambitieux.

En quittant cet homme heureux, j’ai pris la clef des champs. Comme toujours, j’avais un livre dans ma poche, mais je lisais peu. A cette première heure du printemps, il est bien difficile de ne pas faire la part du rêve. Le panorama qui se déroulait devant moi attirait aussi mes regards. Je remarquais surtout, combien les jeux de la lumière sont expressifs pour marquer la