Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/229

Cette page n’a pas encore été corrigée
187
MON JOURNAL.

Quoi qu’il en soit, rien ne fait revivre plus fortement dans nos cœurs ceux que nous avons perdus, que de les revoir en songe. Les lendemains de ces nuits où Poinsot m’apparaît, c’est comme si nos deux âmes avaient communié ensemble. Je vis comme si je l’avais retrouvé. Le sentiment de la présence de mon ami est si fort en moi, que je me trouble si quelqu’un frappe inopinément à ma porte. Parfois, il m’arrive de me retourner brusquement sans l’avoir voulu. Il me semble qu’il est là tout près, derrière moi, et qu’il n’attend qu’un mot, qu’un signe, pour s’élancer, se laisser tomber dans mes bras. Ah ! si vains que vous soyez, songes des nuits, et parfois même si cruels, revenez pourtant, revenez, et, même en me brisant le cœur, rendez-moi l’ami que j’ai perdu [1] !

C’est dans ces pensées tristes et religieuses que je viens d’écrire des vers latins imités de ceux de Dugald Stewart sur les songes.

Jeudi 11. — Long entretien avec M. Bocher sur ses fils. « Vous qui les voyez tous les jours, me disait-il, quelles sont vos prévisions sur leur avenir ? » Il n’est pas toujours aisé de se faire en-

  1. Voir dans l'Oiseau, page 91 (chap. l’Aile), une variante aussi touchante que belle de cette religieuse pensée : « Songes des nuits, si vous étiez pourtant ! », etc.