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MON JOURNAL.


reprenaient-ils leur feuillage et la terre sa parure, puisqu’il n’était plus là pour en jouir ?... Quand nous sommes malheureux, nous personnifions volontiers la Nature, et nous la prenons à partie. Ce matin, elle me faisait l’effet d’une femme cruelle qui se rit également de nos joies et de nos pleurs. Je détournais avec irritation mes regards de cette fête commencée et je les reportais vers le ciel. Alors mes yeux se remplissaient de larmes. Où est-il maintenant ?. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Les rêves fréquents où il m’apparait, sont loin de m’éclaircir cette troublante énigme. Mais je ne rêve jamais de lui, sans éprouver, le lendemain, un invincible besoin de monter au cimetière. Il me semble qu’il m’appelle.

A qui raconter ces songes aussi étranges que douloureux ? Celui, par exemple, où je l’ai vu dans sa bière passant la tête et me souriant, me rassurant, sans me parler, par ce seul sourire. Et celui où, m’approchant d’un caveau resté ouvert, j’apercevais au fond, des membres épars jetés là sans sépulture ; ces membres, c’étaient les siens !... Et cet autre, plus funèbre encore, où l’on me montrait sous verre une face pâle en me disant : « Voilà la tête de votre ami ! [1] » Jamais je n’éprouvai tant de douleur et d’horreur à la fois.

  1. Ces rêves auxquels se mêlait la vision du corps, non tel qu’il fut vivant, mais mutilé, peuvent s’expliquer par les études