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MON JOURNAL.


neuse que les astres laissent au ciel dans leur course. Nous en sommes éclairés et réchauffés encore, longtemps après qu’ils se sont enfoncés dans les profondeurs infinies de l’espace pour s’y perdre à jamais. Il en est de môme, disions-nous, de nos grands hommes. Leurs œuvres puissantes approvisionnent l’humanité, — souvent pour des siècles, — de lumière, de chaleur et de vie. Les peuples auxquels appartiennent ces hommes-dieux, se retrouvent dans leur grand livre populaire. Il comprend à la fois leur âme et leur dialecte. Shakespeare pourtant, qui écrivit pour la cour, fut obligé de s’en faire entendre.

M. Villemain me semble injuste pour Rabelais. Il faut pardonner quelque chose au cynisme de la forme, lorsqu’il est racheté par une si grande richesse morale. Rabelais est un conte historique-drolatique, où la réalité se môle au songe. Dans son livre, il y a un progrès relatif à celui de la vie de l’auteur, et à celui de la France pendant sa vie.

Jeunesse, espérances, jouissances : Louis XII, époque de Jean des Entommeures.

Raffinement, intrigue, plus de maturité : François Ier, Panurge.

Sous Henri II, le poème tombe à la satire, la satire protestante. Rabelais est lui-même, successivement, Jean des Entommeures et Panurge.

Depuis Henri III où Panurge veut se marier