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MON JOURNAL.


impasse Saint-Louis ! C’est bien fini, je ne les retrouverai plus jamais ! Je suis pris dans un dur engrenage. Ma vie, désormais, appartient aux autres. Quand je rentre, c’est pour me remettre à ces traductions que j’ai promises et qui ne me charment plus, parce qu’elles ont cessé d’être le travail dans la liberté. Si je pouvais au moins faire la part de l’amitié, rassembler, écrire les souvenirs du passé, surtout ce qui fut lui ! on ajourne au lendemain, et ce lendemain nous échappe.

Dimanche 11. — Comme il m’est revenu fortement tantôt au Père-Lachaise ! J’avais à la main le livre dont la lecture opéra la révolution singulière qui fut le grand événement de sa vie [1]. Ce cher enfant semblait réaliser lui-même le caractère simple et droit que Bernardin de Saint-Pierre prête à son jeune créole.

Sans doute, un être moral qui fut bienfaisant et bienveillant pendant plus de vingt années vit encore autre part que dans le cœur d’un ami. Patience donc ; patience et confiance. Jamais je n’ai cru si fortement à la justice et à notre immortalité.

Jeudi 15. — Causé longuement avec M. Villemain des grands génies dont le passage en ce monde pourrait être comparé à la traînée lumi-

  1. Voir Ma Jeunesse page 324.