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MON JOURNAL.


du passé, un jeune homme me croise, s’arrôle un instant à me considérer, puis me jette ses deux bras au cou. C’était Lorrain ! Poret lui avait dit ma peine. Son bon cœur me revenait. Nous avons longuement parlé et nous nous sommes promis de nous voir souvent. Mon amitié pour Poinsot me rendait exclusif. Maintenant que le pauvre enfant est parti, je serai peut-être plus sensible à la sympathie que me témoignent mes anciens camarades.

Dimanche 11. — Travail et tristesse. Hier, pendant que mon père était allé m’acheter chez un bouquiniste Marc-Aurèle et Épictète, Virginie est venue reprendre les habits de son frère. Ainsi, tout ce qui fut lui, peu à peu m’échappe. Et c’est, chaque fois, un nouveau déchirement.

M. Bocher m’ayant écrit qu’il avait à me parler, je me suis acheminé tristement ce matin vers la Madeleine, essayant de lire, comme à l’ordinaire, dans la rue ; mais la foule encombrait déjà les trottoirs. J’ai dû fermer mon livre, l’accueil de cet homme aimable a été plus charmant encore, s’il est possible, comme s’il eût su mon chagrin. J’ai cru devoir refuser l’offre obligeante qu’il me faisait de me recommander à M. de Corbière [1].

  1. M. de Corbière, nommé grand maître de l’Université en 1820,