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MON JOURNAL.


où pouvant nous résoudre à nous quitter, nous nous reconduisions deux ou trois fois l’un l’autre. La séparation faite, toujours l'un de nous, le plus ému, s’arrêtait pour regarder l’autre s’éloigner.

Nous avions bien raison, mon Dieu, de prolonger ce temps si court qui devait finir sitôt. Mon âme n’était pas plus calme alors qu’elle ne l’est aujourd’hui, car il semble que je ne doive jamais connaître le repos. Il écoutait avec patience, trop peut-être pour sa tranquillité, car les passions sont contagieuses. Mais dans cette âme pure, l’amitié avait tant de puissance que tout autre sentiment devenait secondaire. « Si tu pars, me disait-il (c’était le temps où on prenait tout le monde), je ne veux pas servir comme pharmacien ; je te suivrai simple soldat. » A quelle profondeur ces paroles s’enfoncèrent dans ma poitrine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Jeudi 8. — Pour m’arracher à moi-même, je vais rapporter à M. Dussault Thucydide qu’il m’a prêté. Il m’accable de son bavardage et me dégoûte du métier de journaliste. M. Létendart, que je vois ensuite, me lit les statuts de l’agrégation et me conseille fort de concourir. Il est certain qu’il faut reprendre le dessus par un travail assidu, opiniâtre. Sans cela, je le sens bien, la mort serait la plus forte. Poinsot m’entraîne..... Au retour, sur le Pont-Marie qui me rappelait tant de souvenirs