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MON JOURNAL.

Ce matin, suivant la longue allée qui mène à sa tombe, tout le passé me revenait : notre première rencontre chez M. Mélot, la rapidité de notre liaison, comme de deux âmes qui se seraient déjà connues ailleurs. Et le charme de ces promenades


    convois multiplié par celui des fidèles qui les accompagnent, quand ce n’est pas Paris, tout entier, qui fait cortège à l’un de ses morts illustres.

    Tous souffrent sans avoir aucun moyen de le dire. C’est à la presse parisienne que doit revenir l’honneur de se faire l’interprète des sentiments de la foule. Et ce sera ensuite à la ville de Paris qu’incombera le devoir de faire droit à de si justes réclamations. Puisque j’ai moi-même l’occasion de réclamer aussi, je le ferai au nom des morts et des vivants, au nom des étrangers qui visitent journellement nos cimetières et s’indignent de voir le premier de tous, celui qui contient la grande société du siècle, notre Westminster, à nous autres Français, déshonoré par cet odieux voisinage. Michelet, qui a dit ; « J’ai été dix ans le plus assidu visiteur des morts » (1820-1830), écrivait en 1840 : « La religion des tombeaux va toujours en augmentant dans le peuple. Religion conséquente si l’on admet le maintien de l’individualité après la mort ; religion utile pour continuer le foyer, la tradition morale, imprimer à la vie des pensées sérieuses. »

    Rouvrons donc toute grande, au profit de cette religion salutaire, la via sacra qui menait autrefois au Père-Lachaise et par ses beaux ombrages disposait les âmes à « des pensées douces et fécondes ». Mais avant tout, purifions les abords du cimetière, abattons ces deux Bastilles du crime qui sont debout, quand l’autre, moins odieuse, à coup sûr, depuis un siècle déjà est tombée.

    Les jeunes détenus, transplantés à la campagne, dans une seconde colonie de Mettray, assainiront leurs mœurs et pourront en sortir des hommes améliorés. Pour ce qui est des condamnés à mort, le nombre en est, grâce à Dieu, si petit, qu’il n’est pas besoin d’une citadelle spéciale pour les enfermer.

    Toute autre prison y peut suffire. Faisons donc sans tarder davantage cette double exécution capitale. L’honneur de Paris le réclame et l’exige.

    Mme J. M.