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MON JOURNAL.


six pieds de terre !... Il est heureux que j’aie dû m’arrêter. Sans cela, je crois que je serais mort. Mon sang, ma bile, violemment remués, m’ont rendu le service de m’abattre lourdement et de supprimer toute pensée. J’ai été huit jours comme ne vivant pas, ou plutôt, je n’ai vécu que pour sentir mon mal physique et rien autre chose.



Hier, quoique très faible, je me suis traîné près de lui et j’ai bien fait. J’étais parti le cœur plein de révolte et voilà ce que j’ai senti : lorsqu’on s’arrête quelque temps devant la tombe d’un mort aimé, le dialogue, brusquement interrompu par la séparation, peu à peu se renoue et, après, il semble qu’on se soit revu. C’est un grand adoucissement à la douleur.

Dimanche 25. — Malgré un froid intense, je suis retourné cette après-midi au cimetière. J’ai arraché de la terre glacée une quantité de pierres suffisante pour dresser une pyramide. A la pointe, j’ai mis mes deux couronnes, l’une blanche, l’autre rouge. Ainsi le premier monument élevé sur son tombeau l’aura été par mes mains. J’ai voulu aussi revoir sa chambre de la rue d’Angoulème. J’y ai trouvé sa mère déjà raffermie. Une résigna-