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MON JOURNAL.


me déchira de nouveau. C’était donc à cette nature hostile que nous allions le remettre, l’abandonner pour toujours !... Comment dire mes angoisses pendant que nous montions lentement cette allée funèbre ? Mais l’instant le plus cruel où je me sentis étouffé, écrasé d’une douleur sans nom, ce fut celui de la descente dans la fosse. La bière, mal dirigée, y tombait avec des secousses, des heurts aux parois qui me semblaient pour ce pauvre corps livré sans défense, autant de coups et de meurtrissures.... Puis, ce fut d’entendre la terre durcie par la gelée retomber rapidement sur le cercueil, et, ce bruit caverneux qu’il rendait, comme une réclamation, une plainte désolée. Le verset tout entier du psaume me revenait : « Du fond de la tombe. Seigneur, j’ai crié vers toi ! » De profundis clamavi !....

Ah ! que les philosophes sans entrailles ne nous disent pas, pour nous consoler, que la mort est aussi de Dieu ! Ce sentiment des droits de la nature empêche-t-il l’horreur du sépulcre quand il nous prend, pour ne plus nous les rendre jamais, ceux que nous avons aimés ?....

En rentrant, je ne pouvais trouver que des paroles cruelles pour moi-même et pour les autres. « Votre ami, dis-je à Pauline, a maintenant six pieds de terre sur le cœur. » Ah ! je les sentais aussi peser sur mon propre cœur et l’écraser, ces