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MON JOURNAL.


averti de cette mort. D’autant plus, je fus touché de son empressement.

Nous partîmes ensemble pour la rue d’Angoulême. La bière était déjà sous la porte et, dans la rue, beaucoup de monde assemblé, des gens d’affaires qui parlaient très haut, et fort indécemment, de leurs intérêts. Cette indifférence générale me navra, comme aussi, d’avoir dû laisser à d’autres mains le soin de l’ensevelir. Et pourtant, au milieu de cette foule, il se trouva que j’étais le seul avec qui il fût étroitement lié. Quand le convoi fut pour se mettre en marche, je dus prier Poret de tenir un des coins du drap. Arrivés devant l’église, je m’aperçus que je ne pleurais pas seul et ce n’étaient pas ses frères qui pleuraient. Je sentis alors, à travers ma douleur, que Poret hériterait de Poinsot.

Dans l’église, je fus diversement agité. Les chants lugubres, tour à tour, chants de colère et de supplications [1], m’enfonçaient dans mon deuil. Mais lorsqu’à la fin de l’office, dans le grand silence qui succéda, tout à coup, le prêtre leva la croix, mes larmes se séchèrent, je retrouvai des pensées consolantes : Dieu et l’immortalité.

Ce ne fut qu’un court moment. A l’entrée du cimetière, la vue des arbres hérissés de glaçons

  1. Sans doute le Dies iræ, le De profundis.