Page:Michelet - Mon journal, 1888.djvu/209

Cette page n’a pas encore été corrigée
167
MON JOURNAL.


demeurais alors, — jusqu’au Pont-Marie. Mes yeux, en te quittant, se remplirent de larmes. Le mauvais régime altérait déjà ta santé, et j’avais au moment môme, le triste pressentiment de je ne sais quel malheur. Mais comment la mort a-t-elle pu te prendre avant moi ? Comment de tels liens ont-ils pu tout à coup se briser ?


« Siccine dividit amara mors[1]


A six heures, je rentrai dans sa chambre pour le revoir une dernière fois. Sa main était devenue dure au toucher, et froide et rigide. J’en frissonnai. Mais au visage, c’était bien toujours celui que j’ai aimé. Je lui dis adieu tout haut. Ce fut l’instant de la douleur la plus poignante.... Mon père m’entraîna. Je sortis à son bras. La nuit, noire encore, était doublée d’un brouillard glacial. Mes larmes que je ne pouvais arrêter, se gelaient sur mon visage.

Rentré à la maison, je me jetai sur mon lit, espérant trouver dans le sommeil une heure d’oubli. Ce fut en vain. Il était toujours devant mes yeux, tel que je venais de le quitter. Mille pensées confuses m’agitaient. A dix heures, je vis arriver Poret que le billet d’invitation avait seul

  1. « Ainsi nous sépare la mort amère. » (Horace.)