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MON JOURNAL.


soigné tout à l'heure encore, fût maintenant couché sur de la paille, dans une nuit si froide ! Pour m’affranchir l'esprit de tant d’images lugubres, je passai dans la pièce voisine, et là, plus maître de moi, prenant la plume, j’écrivis à mon ami.

Deux heures du malin : — Cher enfant ! je continue ce journal que j’ai commencé pour toi. Il m’est impossible, malgré tout cet appareil funèbre, de croire à ta mort, de renoncer à toute espérance. L’homme juste ne peut périr tout entier. Sans doute, nous nous reverrons. Seulement, comment se fait-il que deux âmes qui n’avaient jamais pensé à part l’une de l’autre, soient si cruellement séparées ? Par quel moyen, maintenant, me faire entendre de la tienne ? Elle existe cependant. Entends-moi donc où que tu sois.

Ce qui effraye dans la mort, c’est de voir, en pensée, celui qu’on aime, s’en aller seul devant, et tomber dans les mains d’un juge tout-puissant, parfait lui-même et d’autant plus sévère. Mais, cher ami, que puis-je craindre pour toi ?... En quoi une vie si pure aurait-elle pu offenser Dieu ? Que de bonnes intentions n’as-tu pas eu à offrir en comparaissant devant lui ? L’amour du bien dont je t’ai vu si souvent pénétré, n’a-t-il pas compensé le peu de faiblesses qu’il aura pu re-