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MON JOURNAL.

En revenant de mes leçons, vers cinq heures, je le vis encore quelques moments. Quand je lui dis adieu, il me tendit la main avec assez de vivacité, contre sa coutume, et serra la mienne tendrement. C’était pour toujours En sortant, je demandais à sa sœur : « Croyez-vous qu’il puisse arriver quelque chose d’ici à demain ? » « Non », dit-elle. Je ne pus ajouter un mot. Mon cœur débondait . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Écrirai-je ce qui suivit ? Tous les détails de cette lugubre semaine sont entrés dans ce misérable cœur si profondément, qu’ils y resteront enfoncés à jamais... Quanquam animus meminisse horret... [1].

Il y aurait pourtant une sorte de lâcheté à éviter de rouvrir la blessure. Ce mercredi donc, les élèves avaient congé pour, l’anniversaire du duc de Berry. Bien malheureusement, contre l’ordinaire, je donnais une leçon au jeune Roussel entre huit et neuf. Pendant ce temps, on me cherchait partout où je n’étais pas. Ce ne fut qu’au moment où je sortais de chez M. Briand, fort distrait, que la portière me dit : « Un de vos amis se meurt ».

Le brouillard me sembla s’épaissir, tout changea. Je cours sans m’arrêter. J’arrive.... C’était

  1. « Bien que mon esprit ne s’en souvienne qu’avec effroi. » (Virgile).