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MON JOURNAL.


Mercredi 21. — Tout est fini ! Poinsot est mort le 14. Je l’avais vu le lundi en allant à mes leçons et j’avais été effrayé du changement survenu pendant la nuit, de l’altération de son visage et de son teint. Je dus m’approcher de la cheminée pour cacher mes larmes. Mme Rousseau, qui arriva bientôt, fut saisie de la même émotion. Je tremblais qu’il ne la vît pleurer et je tâchais, ayant pu me maîtriser, de conserver un œil sec, un visage serein. Assis près de son lit, j’avais dans les mains un livre, par contenance, mais je ne le quittais pas des yeux. Et lui-même, toutes les fois qu’il les ouvrait, les dirigeait sur moi. L’oppression était extrême, il n’entendait que très difficilement.

Au moment où je partais, sa mère lui donna une bourse. Il la remerciait, lui disait qu’il la porterait dès qu’il pourrait sortir. — Voulait-il la rassurer, ou bien gardait-il jusqu’à la dernière heure, comme tous les poitrinaires, un invincible espoir ?... Dieu seul le sait.

Le lendemain mardi, dernier jour où je l’ai vu vivant, il faisait un brouillard très froid, très noir, qui devait augmenter la gêne de sa respiration. Je le trouvai ayant recouvré l’ouïe et je crus qu’il était mieux. Ce n’était pas l’avis de la garde-malade. L’oppression, en effet, n’avait pas diminué. On attendait le Dr Surville. J’allai pour le chercher. Inutilement.