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MON JOURNAL.


tellement, que j’en ai été poursuivi, la nuit, jusque dans mes rêves.

A quatre heures j’étais déjà sur pied. J’ai ouvert ma fenêtre. Quand je suis triste, je regarde volontiers vers les mondes meilleurs. Mais aucune étoile ; un ciel noir, sinistre, et la terre blanche de neige. A six heures j’ai dû partir pour mes leçons. J’ai fait le trajet lentement, au risque de me casser bras et jambes. La neige, en plusieurs endroits, fondue, puis reprise par la gelée, s’était changée en un affreux verglas. J’arrive enfin avec des peines infinies au bas de la rue Saint-Gilles [1] mais là, j’ai bien cru qu’il faudrait y renoncer. La pente raide, luisait comme un miroir. Il n’y avait qu’un moyen de la gravir, quitter ses souliers [2]. C’est ce que j’ai fait, enveloppant l’un de mes pieds dans mon mouchoir, l’autre dans ma cravate, pour qu’ils ne fussent pas gelés. C’est ma main gauche qui l’a été, pendant que j’étais occupé à cette besogne. Jamais, même au temps où mes deux mains étaient crevées d’engelures, je n’éprouvai une douleur si mordante.

Ne nous plaignons pas trop, cependant. La pauvre maîtresse d’anglais a été aussi courageuse. Elle est venue à onze heures nous donner sa leçon.

  1. La rue Saint-Gilles montait à l’institution Briand.
  2. A cette époque, on constellait les souliers de clous plats, ce qui était l’occasion, par les temps de gelée, de chutes nombreuses.