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MON JOURNAL.


notre enfance où nous croyions tous deux à l'éternité de la vie, où nous nous promettions tant de bonheur ensemble ? nous avons à peine fait le tiers du chemin, et, déjà, l’un de nous, lassé de la route, s’arrête et dit : « Je voudrais dormir ! » Ces deux mots qui ont été son adieu, et dont il était loin de sentir la portée funèbre, m’ont chargé le cœur d’an toi poids, que je marchais dans la rue comme un homme ivre.

Mardi 20. — Quand donc reviendra le printemps et la montée de la sève ? Tristesse, lassitude d’esprit et de corps ; je me sens tout aplati. Nos âmes seraient-elles condamnées comme l’océan à l’éternelle alternative du flux et du reflux ? Quelque effort que je fasse pour me soulever, je ne puis.... C’est l’heure du reflux.

Samedi 24. — Virginie est venue me dire, ce matin, qu’on tourmentait déjà son frère pour qu’il vît un prêtre. Il a dû se croire au plus mal. Si raisonnable que l'on soit et courageux devant la mort, les paroles maladroites dont on se sert pour préparer les mourants au grand passage, les mots de damnation, d’enfer, si légèrement prononcés, doivent les effrayer et leur revenir la nuit dans la fièvre, les troubler de visions funèbres.

J’ai conseillé à Virginie de dire à ces importuns