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MON JOURNAL.


mûre, ça n’a ni goût, ni saveur ; ce n’est que de l’eau. »


Mercredi 14. — Aujourd’hui, notre famille s’est augmentée et bien selon mon goût. A midi, je revenais de mes leçons, j’entre dans la cour et je vois à la fenêtre du salon un jeune étranger. Mon père en m’apercevant, lui frappe sur l’épaule, il disparaît. Je le trouve au bas de l'escalier venant à ma rencontre, d’un grand élan. Il me saute au cou, m’embrasse avec effusion, se nomme : c’est Lefebvre, le frère de Célestine, ma cousine de Renwez, celle qui fît à mon amour-propre, il y a trois ans, une si cruelle blessure [1].

Lefebvre a voulu nous surprendre. Il vient s’établir tout près de Paris pour étudier la chimie industrielle, les procédés de teinture applicables aux toiles d’Alsace. Une lettre de sa mère nous le recommande vivement. C’est un blond comme sa sœur, le regarda la fois doux, curieux, caressant, un peu étrange, par la myopie qui est extrême et le voile de cils, d’un blond si pâle, qu’ils en paraissent blancs. Le teint est admirable, ce qui témoigne toujours en faveur d’un homme. Nous sommes du môme âge. Mon père, dans son extrême bonté, l’adopte comme un second fils. Nous voilà donc plutôt frères que camarades et tenus de faire

  1. Voir Ma Jeunesse, p. 284.