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MON JOURNAL.


à leur siècle, le fruit supérieur de leur génie ? Ce n*a jamais été, que je sache, au moment où leur esprit venait d’absorber la substance contenue dans les livres ou dans l’enseignement verbal des écoles. — Il en serait donc de la nourriture intellectuelle, comme de l’autre, celle que nous donnons à notre estomac. Pour que les aliments ingérés dans cet organe deviennent assimilables, il faut qu’ils y subissent, comme en un creuset, des modifications profondes. Chacun de nous, selon sa nature, y met un temps plus ou moins long.

L’homme n’ayant pas, comme l’agave, le privilège de prolonger sa jeunesse jusqu’à cent ans et au delà, doit s’assimiler la substance cérébrale dans un espace de temps beaucoup plus court. Si je compte bien, c’est entre trente-cinq et cinquante ans que le cerveau humain change en œuvres vives, les provisions accumulées depuis la sortie du collège. Pendant ces quinze années, il est en pleine puissance créatrice. Cette période de fécondité peut se prolonger plus tard encore ; nos grands producteurs en sont la preuve. — Mais à l’ordinaire, c’est surtout vers cinquante ans, qu’ils ont produit leur œuvre capitale, celle qui leur assure l’immortalité.

Est-ce à dire, qu’à cinquante ans l’homme en ait fini avec les orages de la passion ? L’histoire