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MON JOURNAL.

En l'écoutant parler de l’avenir avec cette ferme confiance, je sentais mon cœur peu à peu se gonfler. J’allais éclater, lorsque, fort heureusement, Mlle Rousseau est entrée pour dire qu’elle serait aussi des nôtres. Son arrivée a fait diversion. Elle tenait à la main un pauvre petit oiseau qu’elle avait arraché, sur les boulevards, aux mains cruelles d’un enfant :

« Cet âge est sans pitié. »

Poinsot n’a pas semblé touché de sa bonne action. Moi je lui en ai su un gré infini. Ces pauvres petites créatures si nerveuses, sont encore plus que nous, sensibles à la douleur.

Faisant un retour sur moi-même, après le départ de l’ami, je me disais qu’il me faudrait travailler davantage encore, pour échapper au tourment qui me vient de ce côté. L’hiver, déjà si sombre, s’obscurcit de ces pensées de deuil. — Faisons surtout des mathématiques pour nous mieux tenir en équilibre. Le pourrai-je toujours ?... N’est-ce pas comme si je disais à mon cœur : « Cesse de vivre, ou du moins, bats moins fort, moins vite, endors- toi. » Arriver à ce calme parfait, voilà, il semble, un beau résultat ; mais celui qui est à peu près mort de cœur, ne l’est-il pas aussi d’âme, d’esprit, et de tout ?... Je le crains. Restons donc bien vivant, ne devrions-