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MON JOURNAL.


lité surtout de son style, c’est une joie, un ravissement que nul mot de notre langue ne peut rendre. La tristesse revient bientôt, car le but, quoi qu’on fasse ici, n’est jamais atteint. Notre langue française est si pauvre en équivalents ! Mais, à s’ingénier, à chercher entre mille tours, avant de s’arrêter à celui qui donnera une satisfaction au moins relative, voilà qu’on devient soi-même, par degré, un bon écrivain. Aucun exercice ne fournit, en effet, plus d’occasions de passer en revue toutes les nuances du style pour rendre une même pensée. On avait cru, au point de départ, ne faire qu’une traduction, et, par le talent, la part du moi qu’on y a mise, on a fait une œuvre presque originale.


Vendredi 9. — Poinsot, que je n’avais pu aller voir, tant le travail m’accable, est arrivé tantôt, tout enfoncé dans son carrick. L’amélioration de sa santé se marque toujours par son humeur : elle redevient égale et enjouée dès qu’il va mieux. Mais hélas ! les traces de la fièvre et de l’insomnie ne sont encore que trop visibles. Il a fallu lui parler du maître d’anglais que nous voudrions prendre pour la prononciation. Je ne l’ai fait qu’avec une extrême répugnance, le voyant si faible ! Lui, aveuglé sur son état, n’y a vu aucun obstacle.