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MON JOURNAL.

Pendant qu’on n’est encore occupé que du sens littéral de la phrase, qu’arrive-t-il ? Que cette étude de la valeur du mot en lui-même et de celle qu’il tient de la place qu’il occupe dans la phrase, livre précisément au traducteur une chose aussi précieuse que féconde, je veux dire le travail artistique de l’écrivain pour donner à sa pensée, par cet agencement, la forme la plus pure, la plus expressive et la plus vivante.

Or, la forme ici, c’est le style même d’un Homère, d’un Sophocle, d’un Virgile, style ailé, divin, qui toujours nous subjugue. Quelle admirable leçon !… Eux seuls, ces maîtres, peuvent nous douer de ce tact délicat qu’on nomme le goût. Cette fine fleur de l’esprit, si j’en juge par moi-même, n’est donnée qu’à ceux qui ont vécu dans la pratique assidue de l’antiquité grecque et latine.

Le véritable traducteur découvre les trésors qu’il a acquis dans cette grande société, lorsqu’il cherche lui-même la forme littéraire qui rapprochera, autant qu’il est possible, la traduction de l’original. Rien ne peut rendre le bonheur que l’on trouve dans la difficulté même d’y réussir.

Croire enfin en avoir triomphé, je veux dire, avoir saisi l’expression, la tournure de phrase qui rend le mieux, non seulement la pensée de l’auteur, mais la beauté, l’élégance, la personna-