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MON JOURNAL.

encore rien à dire, c’est s’exposer, par l’effort qu’on y met, à faire éclater le cerveau comme l’outre qui n’est enflée que de vent.

Disons-nous donc chaque matin, en nous éveillant, qu’il y a une saison pour tout et qu’il faut s’y conformer. On n’a jamais vu le fruit venir avant la fleur.

Traduire un auteur ancien de la bonne époque serait, je crois, un acheminement tout tracé vers la production. Ce serait aussi un excellent moyen de calmer cette impatience, « ces démangeaisons »[1] que nous avons tous de faire un livre dès la sortie du collège.

Il semble, tout d’abord, qu’une traduction soit un travail sans originalité, un asservissement à la pensée d’autrui. Ce n’est là qu’une apparence. Si l’auteur est fécond en idées, on peut se faire, par cet exercice, un fonds excellent pour l’avenir. Pénétrer le génie originel d’un écrivain philosophe et, par lui, le génie même du peuple dont il est l’interprète, n’est pas chose à dédaigner. Bien sot, celui qui croit facile d’y réussir. Nos traductions d’écoliers ne comptent guère. Il faut mettre plus de temps, d’attention, de scrupule ; il faut creuser plus avant, plus profond, pour bien entendre ce que ces maîtres ont voulu dire, et pour saisir les dessous de leurs pensées.

  1. Moliere, le Misanthrope.