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MON JOURNAL.

donner. Mais il s’en gardait bien, craignant sans doute de m’en offrir plus que je n’oserais demander. Ne voulant rien décider sans avoir consulté mon ami, j’ai esquivé la réponse, et je suis parti indigné, cette fois encore, de la conduite tortueuse de ces deux faquins.

Tout en cheminant vers Poret, j’étais bien forcé de me dire que la littérature est le luxe de la vie et non le gagne-pain d’un auteur inconnu. Mon ours a ri de ma colère. Nous sommes convenus de demander neuf cents francs ! Va-t’en voir s’ils viennent.

En vérité, les éditeurs sont comme les femmes du monde. Elles n’ont d’accueil et de sourires que pour les gens arrivés. On ne peut cependant naître et s’appeler tout de suite après, Voltaire, Rousseau ou Montaigne. Il faut le temps, surtout pour une génération qui a souffert et mal étudié pendant les calamités de l’empire.

Dimanche 5. — J’ai lu autrefois, à la bibliothèque du Muséum, l’histoire d’une plante du Brésil ; je crois que c’est l’aloès. Cette histoire est fort curieuse. On y voit qu’il lui faut cent ans pour amasser les éléments de la fleur et de la graine qui serviront à la perpétuer. Voilà, il me semble, un bel exemple à donner aux impatients. Vouloir à vingt ans être quelqu’un, et prétendre écrire pour les autres, quand on n’a